Le préjudice anxiété entre dans le droit commun

Préjudice anxiété

Ce préjudice, reconnu pour la première fois par la Cour de cassation en 2010, connaît une évolution majeure entérinée en cette fin 2019. Le cabinet Grenier Avocats fait le point les implications de ces évolutions pour les salariés et les employeurs.

Lorsqu’un salarié craint constamment de développer une maladie grave parce qu’il est exposé à des substances dangereuses, il subit un préjudice d’anxiété.  Ce préjudice, reconnu pour la première fois par la Cour de cassation en 2010, connaît une évolution majeure entérinée en cette fin 2019.  Son champ d’application, le spectre des substances pathogènes prises en compte et les modalités de reconnaissance du préjudice changent. Dorénavant, tous les employeurs sont concernés au titre de leur obligation de sécurité et les employés doivent prouver le préjudice s’ils assignent leur entreprise.

À l’origine, un préjudice d’anxiété à l’application restreinte

Dans le sillage du scandale de l’amiante, la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 a instauré un dispositif de préretraite publique en faveur des salariés exposés à l’amiante dans des établissements classés par arrêté ministériel. Parmi ces établissements, Ahlstrom a été assignée par d’anciens salariés et condamnée au titre de préjudice d’anxiété ouvrant droit à indemnisation. Ainsi, outre le risque sanitaire, cette affaire a aussi affirmé l’« inquiétude permanente » découlant de l’exposition à l’amiante dans ce type d’établissements.

Le préjudice d’anxiété est ainsi apparu et a été reconnu pour la première fois par la Cour de cassation en 2010 (Cass. Soc. n° 09-42.241 du 11 mai 2010).

En 2016, la Cour de cassation en a circonscrit l’application au seul régime de la préretraite amiante. Pour compenser ce champ d’application très restreint, la Cour de cassation a permis une reconnaissance quasi-automatique du préjudice d’anxiété : les salariés n’avaient pas à prouver leur état d’anxiété ou la faute de leur employeur.

En 2019, le préjudice d’anxiété entre dans le régime du droit commun

Nouvelle étape début 2019 : dans le cadre d’une demande d’indemnisation d’un ancien salarié de la société EDF, établissement non-classé, la Cour de cassation a jugé par un arrêt d’Assemblée plénière que l’ensemble des salariés exposés à l’amiante pouvait se prévaloir du préjudice d’anxiété sur la base de l’obligation de sécurité de l’employeur et ce, quel que soit leur lieu de travail (Cass. Assemblée plénière, 18-17.442 n°643 du 5 avril 2019). Dès lors, le préjudice d’anxiété n’est plus restreint aux seuls établissements classés et entre dans le régime de droit commun de l’obligation de sécurité de l’employeur.

De plus, il concerne dorénavant davantage de substances dangereuses.

En effet, la nouvelle orientation a été confirmée récemment par un arrêt du 11 septembre 2019 de la Cour de cassation qui étend le préjudice d’anxiété à toute « substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave » — confirmation qui a permis à 700 anciens mineurs d’assigner leur employeur pour exposition à l’amiante et d’autres substances nocives (Cass. Soc. 17-24.879 n°1188 du 11 septembre 2019).

Un préjudice que le salarié doit maintenant prouver

Désormais, le préjudice d’anxiété n’est plus automatiquement reconnu en cas d’assignation d’un employeur — en dehors du régime particulier de la préretraite amiante. Pour les salariés, cela implique de prouver le manquement de leur employeur à son obligation de sécurité ainsi que leur état d’anxiété.

Pour l’employeur, il est maintenant possible de s’exonérer en démontrant avoir pris toutes les mesures adéquates pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment celles prévues à l’article L. 4121-1 du Code du travail. Les entreprises peuvent donc diminuer le risque de condamnation, à condition d’être très rigoureuses en matière de protection et de suivi de la sécurité de leurs salariés.

Le préjudice d’anxiété en quelques chiffres*

Exposition 

  •   1/3 des salariés exposé à au moins un produit chimique
    > 38 % des salariés dans l’industrie (à la baisse depuis 1994)
    > 58 % des salariés dans la construction (à la hausse depuis 1994)

10 % des salariés exposés à au moins un produit cancérogène (soit 1.8 million de personnes, tendance à la hausse sur 20 ans)

Prévention

  • Près de 1/2 salariés couvert par des pratiques formalisées de prévention des risques professionnels
  •  49 % des salariés couverts par un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ou assimilé au niveau de l’établissement

Montant des condamnations pour préjudice d’anxiété

  • Cas Ahlstrom : l’employeur a été condamné à 10 000 € par salarié.  • Cas EDF : 10.000 € de dommages et intérêts au titre du préjudice d’anxiété à 108 salariés exposés à l’amiante dans des centrales thermiques d’EDF

*selon les chiffres de 2017 de la dernière enquête sur la surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels de la Direction de l’animation de la recherche du Ministère de Travail, publiés en septembre 2019.

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